mardi 22 mai 2012

Le pays de toutes les libertés

Je sais que je vais vexer des amis qui sont d'ici en m'exprimant sur ce sujet, eux qui sont à l'opposé du trait grossier que dessine l'actualité québécoise ces jours-ci. La France a de la chance d'avoir choisi l'alternance: que personne n'aie l'idée d'importer cette approche "à l'américaine" pour résoudre les conflits sociaux. Je vous la résume. L'équipe gouvernante fait face à une protestation, certains dirons massive, d'autres chercheront à la minimiser, la raison veut qu'on ne puisse a minima l'ignorer. Toute une génération trouve injuste la décision d'un gouvernement qui engage leur vie actuelle et future et celles des plus jeunes qu'ils défendent aussi.

Le gouvernement sort une méthode pratiquée de ce côté-ci. On se vote une loi spéciale, malodorante et qui pue la répression et qui atteint son objectif dans la première heure de son application. Elle vise tout simplement à "fermer la gueule" à quiconque s'oppose à la volonté de l'équipe gouvernante en place. On l'appelle la loi spéciale. C'est en effet assez spécial de régler les conflits sociaux de cette manière.


A vous de jouer maintenant, chercher le lien entre les propos des paragraphes précédents et le titre du billet. Pas facile, hein ? En d'autres mots, où elle est cette liberté que, soi-disant, l'on chérit de ce côté-ci de l'Atlantique ?


Puisqu'on en est à râler -- je suis devenu français, z'avez remarqué ? ... Autant tout vous raconter de cette "fâmeuse" liberté.

Vous savez cette liberté que peuvent prendre les entreprises pour liquider le personnel ? euh, pardon, cette liberté dont bénéficie les entreprises pour mettre en oeuvre une politique de flexibilité. On peut demander à mon frérot de vous la raconter la flexibilité. Celle qui permet aux sociétés bien pensantes de se payer un senior qui a son expérience pour mettre sur pied un projet, en planifier le budget et le déroulement avant de le remercier -- mais en gardant bien précieusement le fruit du travail de planif', fruit de d'une expérience un peu encombrante. Pas mal comme idée, tu te prends un senior, il te fait un calendrier comme pas deux, il en a vu d'autres, il te fait le budget, et c'est en dressant le budget et en le confrontant à l'enveloppe réelle accordée qu'il peut --il est senior, il sait lire entre les lignes -- réaliser que son salaire n'est pas au budget ...

Et l'état s'arrange bien de ce droit du travail clinquant. Pas de poste permanent, pas de retraite à payer. Tiens la politique du travail. Une jeune fille que l'on connait nous disait: son employeur (oui, oui, elle est employée) ne la rémunère que si elle vient effectivement travailler -- jusque-là ça ne choque personne -- mais on ne l'appelle que si on a besoin d'elle. Autrement dit, son statut d'employée lui donne le privilège de rester accrocher à son téléphone pour espérer qu'on l'appelle pour faire une heure ou deux les bons jours.

Je peux pousser la chansonnette encore un peu ? Allez on va aller du côté d'une grosse société, je vous dis pas le nom, ils font des ordis, des gros des petits, et tout ça a commencé avec de bêtes caisses enregistreuses ... Nous connaissons un ami qui travaille là-bas et s'occupe de questions juridiques (propriété intellectuelle (PI), droit du logiciel, etc.). La boîte a pignon sur rue et attire depuis des années les majors de promos, les étudiants férus de droit, les meilleurs -- la société est imparable sur les questions de PI.

Vous savez quoi ? On licencie aussi dans cette société, et au département des affaires juridiques comme ailleurs. Ne reste que les seniors qui coûteraient trop chers à licencier ... de force. Mais l'attractivité de cette société de stature internationale ne se tarit pas. Les majors de promos continuent à venir pour espérer y trouver leur premier job. Mais les temps ont changer ... euh, je veux dire, reculer. On revient au temps où les dockers se pressaient aux culs des camions en espérant que le contre-maître leur fasse signe.

Ces "stagiaires" sont rémunérés à la pièce. Y a du boulot, on le leur confie et on les paye pour ce que ça "vaut". Pas de boulot, merci beaucoup, vous pouvez revenir demain. Assurez-vous de bien suivre mon histoire: on est pas en train de parler de jobs étudiant pour les mois d'été. Il faut penser, oui, aux efforts que représentent des études en droit dans les meilleures facs sur plusieurs années. On peut penser aussi aux dettes que ces gamins ont sur le dos en sortant des ces prestigieuses universités.

Les entreprises prennent des libertés, et portent leur faux-nez qui s'appelle la flexibilité. Les universités gagnent leur prestige en pratiquant une sélection par l'argent éhontée.

Alors, on les comprend ces jeunes -- ce sont eux  le vrai investissement pour la nation, bien avant le plan Nord*. Et qu'est-ce qu'on envie qu'ils renversent la table quand ils sortent dans la rue. On est avec eux. On sort de la fougue qui nous a permis de réduire le niveau de stress du pays (je parle de la France et du stress dont parlait Alain Minc, que Niclas Sarkozy avait apparemment apporté au pays). On rentre dans celle qui anime la jeunesse québécoise. Et on est ravi.



Je leur souhaite de tout coeur la gratuité scolaire, celle dans le contexte de laquelle je travaille tous les jours en France. "Un peuple instruit, jamais ne sera vaincu".

* Les chiffres ... j'y peux rien, je suis matheux. On a fait un calcul rapide à la maison, du coût pour la nation sur un an des frais que le gouvernement veut imposer aux jeunes de ce pays: 325$/an (sur cinq ans). On fait la comparaison de l'investissement que Québec se prépare à faire sur le plan Nord: 16 milliards/an sur 5 ans. Allez, on se met d'accord pour 400 000 étudiants (ma source pour ce chiffre), ce qui nous donne un coût de  130 millions $/an sur 5 ans. La comparaison avec le plan Nord fait peur. Ce pays ne serait pas prêt à consacrer 0,825 de 1% du budget prévu pour le plan Nord sur la formation de sa jeunesse CEGEP (lycée) et Universités confondues ...

La mauvaise réponse que l'on donne à mon argument est souvent celui qui oppose les frais de scolarité pratiqués au Québec par rapport à ce qui se fait ailleurs au Canada ou, pire, aux USA. Hmm ... ce type de raisonnement, d'une naïveté somme toute assez rudimentaire (je vais éviter d'être trop méchant), pourrait être repris avec force paraphrase pour justifier tous un tas de politiques sociales toutes plus mauvaises les unes que les autres: pourquoi envisager de hausser les salaires alors que les salaires sont après tout bien plus bas dans nombre de pays du Sud ? pourquoi renforcer le droit du travail alors qu'on sait bien que certains pays n'en n'ont à toute fin pas ? ... on peut continuer ainsi et développer finalement un argument pour tout faire avaler à un peuple à qui on pourrait toujours dire qu'il a la chance de ne pas vivre sous une dictature.

Mais la force d'une dictature n'est-elle pas justement d'avoir cette capacité à justifier tout et n'importe quoi avec des arguments à la mord-moi-le-noeud ? Le pays de toutes les libertés, je vous disais ...

1 commentaire:

  1. Les Melançons ont vécu une fin d'année mouvementée au Québec-libre. Il y a longtemps, à vrai dire depuis le 20 mai 1980, le Québec s'est endormi. Le bruit des casseroles nous réveillent tout à coup. En effet, depuis ce temps, le néo-libéralisme a fait du chemin. On demande aux étudiants de faire "leur juste part". Si le gouvernement est si entêté, c'est bien sur le principe car en vérité, juste en "overtime" des policiers, on a dépassé de loin le 230 millions des frais de scolarité. Les étudiants mènent une lutte d'avant-garde car selon cette ligne de pensée, on demandera bientôt aux malades, ceux des hôpitaux, de faire leur juste part et ainsi de suite jusqu'à privatiser l'État: le rêve libéral.
    En effet, la liberté au Québec rime avec celle des entreprises, la flexibilité ... du marché externe du travail. Oyez! On travaillera tous à discipliner ces "forces du marché". Le réveille étudiant, la capacité retrouvée de faire des choses ensemble, permettra peut-être de façon très pragmatique (c'est ce qu'on a retenu des américains), de reformuler des relations sociales, de mieux redistribuer la capacité de tous d'être autonome, de voir à ce que tous puissent, à l'aide de la solidarité, se trouver un rôle et puissent contribuer à la société, nonobstant leur moins grande "performance". On espère, au Québec, devenir ce cheval de Troie, qui contaminera l'Amérique. Pourquoi ne pas commencer par de "simple" frais de scolarité?

    David

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